

Droit constitutionnel et démocratie : de la nation à l’Europe
Entretien avec Mathias El Berhoumi
Ceci n’est pas un liber amicorum !
Célébrant l'éméritat d'Hugues Dumont, l'ouvrage "Droit constitutionnel et démocratie : de la nation à l’Europe" ne prend pas la forme d’un classique liber amicorum laissant libre cours à l’écriture sur des thématiques disparates choisies par les auteurs et autrices. L'un des coordinateurs, Mathias El Berhoumi, nous en parle.
L’introduction s’intitule « ceci n’est pas un liber amicorum ». En quoi ce livre est-il différent ?
Nous avons revisité le format des livres composés à l’occasion des éméritats en l’adaptant à la personnalité d’Hugues Dumont. Il s’inscrit dans la tradition de la disputatio. L’université a vocation à être un lieu de débat, où la confrontation des idées et l’échange des arguments font avancer les connaissances. Y exprimer son désaccord ne marque pas une hostilité ou un manque de respect, que du contraire. L’architecture de l’ouvrage s’organise ainsi autour d’un dialogue avec ses textes que les contributeurs ont pu prolonger, mettre à jour, nuancer, voire contredire. Lire ses écrits et les discuter, c’est finalement le plus bel hommage que l’on peut rendre à un professeur d’université.
Pour faire écho au titre de l’ouvrage, que peut le droit constitutionnel face à la crise démocratique ?
L’idée de Constitution est sans conteste l’un des apports majeurs des révolutions française et américaine de la fin du XVIIIe siècle. Le pouvoir se soumet à des règles trouvant leur source dans la volonté du peuple qui devient le souverain. Mais la question fondamentale de la manière dont s’exprime cette volonté n’a jamais été réglée une fois pour toutes. De nos jours, le suffrage censitaire ou l’exclusion des femmes du droit de vote nous apparaissent fondamentalement illégitimes. Ceci nous rappelle que la démocratie est un projet, un horizon qui ne se réalise jamais totalement. La situation actuelle n’en présente pas moins une série de signaux inquiétants. Les constitutionnalistes doivent être au rendez-vous pour amener des propositions de revitalisation de la démocratie représentative, d’articulation de celle-ci avec des processus délibératifs, de résistance aux dérives technocratiques, de lutte contre les partis liberticides.
Passons au sous-titre « de la nation à l’Europe ». Et l’État dans tout ça, dépassé par le bas et par le haut ?
Pour le constitutionnaliste, la figure de l’État reste centrale, car il demeure le titulaire exclusif d’un pouvoir souverain. Mais impossible de s’arrêter à cette affirmation face à la résurgence de mouvements nationalistes, à l’intégration européenne et aux mutations de l’ordre international. Plus que jamais, il faut constamment réfléchir aux fondements théoriques de l’État, s’interroger sur le sens contemporain de notions essentielles comme le pouvoir constituant, l’État-nation, la souveraineté ou la Fédération. L’ouvrage offre de précieuses ressources dans cette perspective.
Mais l’État belge en particulier, a-t-il un avenir ?
Ses structures n’ont jamais été présentées comme définitives. Plusieurs modèles d’évolution sont discutés dans le livre, notamment pour atténuer la superposition entre régions et communautés. Le thème de la confédération est aussi abordé. Au-delà du point d’arrivée, la méthode pose aussi question : faut-il décider de l’avenir d’un État dans une négociation entre présidents de partis, à huis clos ? Hugues Dumont a construit un plaidoyer pour un référendum sur la survie de la Belgique qui fait l’objet d’intéressantes objections.
Quel peut être le rôle d’un constitutionnaliste dans le contexte politique actuel ?
Le succès des tendances illibérales mène à de profondes remises en cause de l’État de droit, notamment par la critique systématique des juges. Outre les révolutions du XVIIIe, s’il y a bien un contexte historique qui a nourri les constitutions, c’est celui de la 2e guerre mondiale. Autant que nécessaire, les constitutionnalistes doivent être là pour le rappeler. Ils ont aussi une tâche essentielle, celle de suggérer des voies de conciliation, plutôt que d’opposition, entre la démocratie et l’État de droit. Sans nier leurs points de tension, l’un ne peut exister sans l’autre, et les deux gagneraient à être renforcés.

