Théâtre en réclusion

Entretien avec Chloé Branders 

 

Organiser un atelier de théâtre dans un lieu comme une prison ou un établissement de placement en régime fermé pour mineurs est une démarche complexe.

Dès lors, pourquoi se lancer dans une telle entreprise ? Est-il possible de mener un atelier de théâtre sans épouser pleinement le projet sécuritaire ou disciplinaire de l’institution dans laquelle l’atelier prend place ? Comment la démarche artistique permet-elle de saisir les enjeux qui traversent les institutions fermées ?

Voici quelques questions qui ont animé Chloé Branders dans sa recherche portant sur le théâtre en réclusion, le jeu et la subversion de l’institution. 

Étudier le théâtre en réclusion, c’est original. Comment vous est venue l’envie de travailler sur cet objet dans le cadre de vos recherches ?   

Avant de commencer ma recherche, j’ai assisté à un spectacle de théâtre en prison mis en scène par Simon Fiasse. J’étais déjà à l’époque intéressée par ce que j’appelle maintenant le théâtre à finalité sociale et politique et j’assistais donc régulièrement à des représentations qui étaient le fruit de collaborations avec des publics marginalisés. Le spectacle était bouleversant et dans un style très authentique qui m’a beaucoup touchée. C’était là, je crois, une expérience déterminante pour la suite de mon parcours.  

J’avais travaillé plusieurs années dans l’aide et la protection de la jeunesse, donc il me tenait à cœur de ne pas uniquement investir les prisons, mais aussi d’investiguer les établissements de placement pour mineurs en conflit avec la loi (ou IPPJ).   

Il n’y a pas que le sujet de votre étude qui est originale, mais aussi la méthode que vous avez utilisée pour récolter vos données sur le terrain. Est-ce que vous pouvez nous en dire un mot ?  

La spécificité de mon étude est que le théâtre a été à la fois mon objet d’étude et le moyen utilisé pour récolter mes données empiriques. Cette méthode recoupe notamment les démarches de recherche-création qui sont en plein essor. 

Croiser les démarches artistique et scientifique est aussi une caractéristique que l’on peut notamment retrouver dans la criminologie culturelle qui est un champ encore peu investi par les criminologues de langue française, mais beaucoup plus développé par les Anglo-saxons. L’intérêt d’explorer ces méthodes et ces champs théoriques est de pouvoir donner une place à la portée symbolique des gestes sociaux observés et, évidemment, lorsqu’il s’agit d’étudier le théâtre et l’enfermement, cela prend tout son sens.  

Pourquoi organiser de telles activités en prison ou en IPPJ ?  

Rien n’est fait en prison ou en IPPJ pour accueillir une activité artistique de ce type. C’est pour cela que j’ai tendance à dire que les activités socioculturelles en prison s’organisent malgré la prison. En IPPJ, c’est un peu différent, car, à côté de la mission sécuritaire, il y a une volonté plus soutenue de proposer des projets intéressants et éducatifs aux jeunes. Mais que ce soit dans une institution ou dans l’autre, les projets sont toujours initiés et soutenus par une poignée de personnes seulement qui arrivent à faire exister cette activité grâce à leur détermination, malgré les entraves institutionnelles et les aléas de la réclusion.  

Saisir ces difficultés a été une part essentielle de mon travail qui m’a permis de répondre à une interrogation qui m’a souvent été formulée : est-ce que le théâtre en réclusion participe à la réinsertion des individus ?  

C’est une question importante et il faut s’y intéresser, mais elle a tendance à réduire la portée véritable du théâtre et de l’art en prison ou en IPPJ. Dans les ateliers que j’ai coanimés et suivis, j’ai pu observer des choses qui dépassent largement l’assujettissement des détenus à se conformer à ce que les autorités judiciaires ou mandantes attendent d’eux dans le cadre d’un projet de réinsertion. J’ai dès lors tendance à déplacer la notion de la réinsertion vers celle de l’émancipation. En me situant à ce niveau-là, il me semble que je saisis avec plus de complexité ce qui se joue lors des ateliers de théâtre en prison ou en IPPJ. 

Dès lors, si on reprend la question des retombées d’une telle activité, il faut se demander pour qui et pour quoi ?  

Ce que je me suis efforcée de faire, c’est de me décaler légèrement de l’analyse des retombées sur les individus en termes d’acquis de compétences ou d’utilité pénale pour me focaliser sur les retombées plus larges sur ce que j’ai pointé comme étant les rationalités institutionnelles. Dans ce sens, je me suis surtout demandé comment un atelier de théâtre en prison ou en IPPJ pouvait venir ébranler les logiques institutionnelles. J’ai alors repris la notion de subversion que je définis notamment à travers ce que j’ai appelé le jouer-déjouer. Cette action poursuit l’idée que pour bousculer une rationalité dominante, il faut d’abord jouer le jeu, et cela passe par la nécessité de connaitre les règles du jeu et de les appliquer, pour ensuite déjouer le jeu jusqu’à éventuellement en changer les règles. 


 

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